En juillet dernier, la chanteuse, compositrice et pianiste Judith Owen, accompagnée de la solide formation "Her Gentlemen Callers" (David Torkanowsky au piano et à la direction musicale, Kevin Louis à la trompette, Lex Warshawsky à la basse et Pedro Segundo aux percussions), a offert au public parisien du Club We Are la primeur des titres de son nouvel album "Come On & Get It", produit par John Fischbach et enregistré à la Nouvelle-Orléans.
Avec son timbre puissant et son sens inné du swing, la flamboyante galloise nous offre une superbe plongée dans le répertoire jazz et blues de femmes des années 1940 et 1950.
Des femmes libres et talentueuses comme Blossom Dearie, Nellie Lutcher, Dinah Washington, Dinah Shaw, Peggy Lee... qu'il est grand temps de (re)découvrir.
- Dans le texte qui accompagne l'album, vous évoquez un retour aux chansons de votre enfance. On imagine qu'avec votre père, vous avez aussi baigné dans le répertoire lyrique ?
Mon père a en effet chanté durant 35 ans à Covent Garden. Pendant mon enfance, j'ai passé tous mes week-ends à l'opéra. J'ai eu l'occasion de voir mon père discuter avec Luciano Pavarotti. A l'époque, je ne réalisais pas qu'il s'agissait de moments exceptionnels. C'était la vie de mon papa ! Dans la discothèque familiale, on trouvait des enregistrements de Puccini, Rachmaninov, Beethoven mais aussi ceux d'Oscar Peterson ou de ces femmes pianistes qui évoquaient assez librement leur sexualité.
- C'était très inhabituel à l'époque ?
C'est vrai que dans les années 40 et 50, les femmes étaient censées interpréter des chansons romantiques ! J'ai pris beaucoup de plaisir à rendre hommage à ces artistes fortes et indépendantes qui s'assumaient et sortaient du cadre.
- C'est le même désir d'indépendance qui vous a poussée à créer votre propre label avec votre mari (Harry Shearer, acteur, musicien, écrivain, animateur...) ?
Je ne me voyais plus travailler avec de grands groupes. Je pense souvent à mes parents qui m'encourageaient en me disant : "tu as du talent, de l'intelligence et tu es une dure à cuire". A un moment, j'ai décidé qu'il était temps de m'excuser d'être ce que je suis.
- Avec "Come On & Get It", vous sortez quelques pépites des oubliettes ?
On peut même parler de véritables petits diamants !
- Vous êtes restée proche des versions originales ?
Oui, mais j'essaie aussi de m'approprier les chansons. Si j'ai voulu les reprendre, c'est parce qu'elles signifiaient quelque chose pour moi et mon parcours.
- Il y a une certaine espièglerie dans les textes ?
Le Covid m'a tellement déprimée que j'ai eu besoin de trouver quelque chose qui ramène un peu de joie. Normalement, je compose de la musique qui reflète ce que je vis. Là, j'ai eu besoin d'aller vers ces femmes.
- Quels souvenirs gardez-vous de votre tournée avec Brian Ferry ?
C'est un homme charmant et réservé. Il a été très bienveillant à mon égard. Il respecte le talent des artistes et n'hésite pas à les accompagner et les encourager.
- Un vrai gentleman ?
Tout-à-fait.
- Donner la parole à ces femmes alors que dans bon nombre d'états américains on revient notamment sur les droits acquis concernant l'avortement, c'et symbolique, non ?
Ce qui se passe aux Etats-Unis est un véritable retour en arrière. Et je pense que cela va malheureusement durer. Avec la musique, on a la possibilité de se lever et de s'exprimer. C'est une chose que l'on peut faire en tant qu'artiste. Je trouve que c'est mieux que d'être en colère. La musique peut toucher les gens, les amener à s'interroger.
- Parlez-nous de votre pianiste et directeur musical David Torkanowsky qui a notamment collaboré avec des Dianne Reeves, Irma Thomas ou Allen Toussaint ?
Il aime et comprend ma musique. C'est lui qui m'a présenté les musiciens de la Nouvelle-Orléans qui m'accompagnent aujourd'hui. Il sentait que ça allait fonctionner. Je n'aime pas ceux qui jouent pour épater la galerie. Ma religion, c'est la musique. Pour moi, chaque note doit dire quelque chose. C'est sans doute pour ça que les musiciens me respectent parce qu'il savent que je sais...
- Vous avez notamment chanté au Royal Albert Hall et à l'Opéra de Sidney mais, à Paris, vous vous produisez plutôt dans des petites salles ?
C'est merveilleux de jouer dans de petits espaces car il y a une vraie connexion avec le public. Le sentiment d'être à la maison, dans une même pièce et de créer un lien personnel avec chaque personne du public. Il faut aussi avoir les reins solides mais c'est ma manière de fonctionner. J'ai besoin de me sentir capable de jouer de la même manière quelle que soit la salle.
- album "Come On & Get It"(Twinky Records), disponible depuis le 7 octobre 2022
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